Le train quitte la gare et s’enfonce dans la nuit. La fenêtre s’obscurcit, le paysage disparaît, laissant place à des rails au premier plan, une rangée d’arbre et de la neige. Autour, derrière, au-dessus, plus rien. Le reste du monde s’efface. Il ne reste que deux passagers et moi dans notre compartiment à peine éclairé. On n’entend que le vrombissement du train qui file dans le noir…
Je connais la destination, en théorie, mais en cet instant, elle n’est qu’un point imaginaire au loin. Nous ne sommes peut-être même pas dans la bonne direction ou dans le bon train. Tout est possible.
Nous passons quelques gare désertes et blafardes aux noms exotiques et imprononçables, qui, loin d’être des repères, renforcent l’étrangeté et l’irréel de la situation. Chihiro et ses gares fantômes ne sont pas loin. Ce pourrait être un rêve. Je pourrais tout imaginer, là, dehors. Qui peut dire que je ne traverse pas les plaines de Sibérie, ou d’un quelconque pays presque inaccessible ? Comment savoir si ce train est encore en terrain connu ? S’il va s’arrêter un jour ?
Je repense à ces documentaires sur les loups qui se déplacent à travers le continent, à ces personnes qui ont marché pendant des jours, des semaines dans les immensités glacées et solitaires de l’Est sans croiser âme vivante. Et si le train s’immobilisait au milieu de nulle part ? Qu’adviendrait-il des passagers de ce wagon ? Si nous devions nous aventurer dehors, dans le froid et la nuit, pour poursuivre notre périple ?
Mais l’important, à cet instant, ce n’est pas le ‘où’, le ‘quand’, ou même mon imagination qui cavale. C’est cette petite étincelle qui vient de se rallumer, celle qui apparaît souvent pendant mes voyages. Elle n’a pas de nom : c’est un mélange d’excitation et d’inquiétude, d’adrélanine et de calme satisfaction ; un sentiment de liberté sauvage. L’incertitude que l’on ressent quand on ne sait pas où l’on va, où l’on sera ou ce que l’on fera demain. Quand le futur n’est plus à portée de main car on ne peut pas encore le visualiser ou le planifier et qu’il ne reste que le présent et l’anticipation de la surprise à venir.
Et peu importe au fond ce qui se trouve au bout du chemin, lieu familier ou non, bonne ou mauvaise nouvelle. Ici et maintenant, je suis une aventurière de l’inconnu et rien ne peut briser ce sentiment.
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